Lettre ouverte à Monsieur le Ministre du Travail : sensibiliser aux risques métiers, c’est bien mais il faut aller plus loin
Monsieur le Ministre, je me permets de réagir à votre campagne de sensibilisation sur les accidents du travail. Il est vrai que la France n’est pas bien placée par rapport aux autres pays européen à ce sujet. Le taux d’accident moyen annuel positionne notre pays en queue de peloton. On ne peut alors que se féliciter de cette prise de conscience de la part des institutions françaises. Bravo donc pour cette initiative !
Néanmoins, il faudrait me semble-t-il rappeler plusieurs fondamentaux…
Il faut changer les comportements
Tout d’abord, à partir du moment où plus de 80% des accidents du travail trouvent leur origine dans les erreurs humaines – constat partagé par l’ensemble des experts dans le monde entier – c’est bien le comportement sur le poste de travail qui pose problème. Autrement dit, former les salariés aux règles métiers est indispensable mais ne suffit définitivement pas. C’est le comportement face à une situation à risque qu’il faut changer radicalement. Notons au passage que l’on assiste chaque année, dans toutes les professions et corporations à un renforcement constant de la règlementation sans que cela ne produise de résultats vraiment probants. Toutes les statistiques le démontrent !
Par ailleurs, les jeunes apprentis et les intérimaires sont plus exposés face au risque d’accident. C’est logique. En effet, moins formé, on s’expose davantage au risque métier et il est de fait normal de porter une attention particulière à ces profils. Mais il ne faudrait pas que ce constat soit l’arbre qui cache la forêt. Si les rapports pointent du doigt les salariés moins expérimentés ou moins bien formés aux règles de sécurité en soulignant par exemple que les salariés qui ont moins d’un an d’ancienneté dans l’entreprise représentent environ 25% des accidents du travail, on oublie de parler des 75% restants pour lesquels manifestement le manque de formation à la sécurité métier, voire le manque d’expérience n’expliquent pas l’accident…
C’est l’erreur de routine qui est fatale le plus souvent
Tout salarié expérimenté ou non, ancien ou nouveau dans l’entreprise, s’expose à l’erreur humaine. C’est juste la nature de l’erreur qui change. Dans le cas du jeune ou de l’intérimaire, c’est l’erreur de connaissance qui est la plus fréquente : il est face à une situation qui présente un risque et ne dispose pas de la connaissance pour adapter son comportement. On le comprend alors, l’erreur de connaissance peut très vite placer le salarié qui la commet dans une situation dangereuse. Elle est en effet celle, parmi les erreurs humaines, qui a le plus fort impact sur la sécurité. Une seule erreur de connaissance peut provoquer un accident. En revanche, pour tous les autres salariés, c’est l’erreur d’automatisme ou erreur de routine qui les guette le plus souvent, en particulier pour le salarié expérimenté. Même si une seule erreur de routine a peu d’impact sur la sécurité, sa duplication et sa répétition dans le temps exposent in fine de la même façon le salarié à l’accident.
Autrement dit, il faut prendre garde à ne pas se focaliser exclusivement sur les jeunes ou les intérimaires. Si on veut amener les entreprises vers le 0 accident, il faut travailler sur toutes les erreurs et pas seulement sur les erreurs de connaissance qui sont les seules à pouvoir être traitées par la formation à la sécurité métier. En d’autres termes, la formation à la réglementation métier n’est pas l’unique solution. Faut-il rappeler que si 80% des accidents du travail sont générés par des erreurs humaines, 80% de ces erreurs sont des erreurs de routine.
Changer de comportement ne se décrète pas
Enfin, on parle beaucoup de sensibilisation. On n’arrête pas de sensibiliser ! Cependant, à partir du moment où on a compris que le changement de comportement était la clé de voûte pour tendre vers le 0 accident, l’enjeu est de changer les comportements dans les entreprises du manager à l’opérationnel. Or pour changer le comportement, les neurosciences le démontrent, la sensibilisation n’est pas suffisante. Changer de comportement ne se décrète pas. Il faut passer par des pratiques, des méthodes, des techniques qui s’apprennent par l’apprentissage et l’entrainement. C’est cette approche qui a infusée dans les cockpits d’avion depuis plus de 20 ans. C’est cette approche positive et pragmatique du comportement qui place aujourd’hui le transport aérien au premier rang des activités humaines les plus sûres au monde. Un exemple qui devrait inspirer nos représentants politiques et bien sûr les entreprises concernées !